Depuis le début de l'aventure de la martiennerie je m'interroge sur le "statut" que j'ai en tant qu'artiste au sein de la maison.
Pour la petite histoire et sans faire trop long, il faut que vous sachiez que je ne suis pas du tout seul à avoir fondé la martiennerie. Anne Mars, plasticienne, mais également ma compagne, est à l'origine de la création de la maison, qui est une sorte de prolongement, de la micro-maison d'édition qu'elle a fondée à la sortie des Beaux Arts de Paris et qui s'appelle martine's éditions.
Nous interrogeons depuis longtemps le design de livre, l'impression (la sérigraphie beaucoup lorsque nous la pratiquions presque quotidiennement puis la risographie) et la fabrication d'image, multiple ou non, illustration, dessin, etc.
En tant que musicien, les sons hantent mes pratiques graphiques, mes design d'impression, l'utilisation de la découpe laser. Dans ma démarche personnelle, chaque texte, chaque caractère, chaque image, sonne avec une sorte de mélodie, ça dissone aussi parfois beaucoup. J'interroge aussi ma pratique musicale et ne cesse d'être en mouvement tout en évitant l'agitation.
En coopération donc depuis de nombreuses années Anne et moi parlions déjà beaucoup de la martiennerie avant même qu'elle ne soit créée et désirions qu'elle soit un espace de liberté pour les artistes de toutes disciplines afin d'y fabriquer des objets martiens : Non pas venus de Mars, mais fabriqués de Mars, imaginés de Mars, rêvés de Mars... Intrinsèquement extra-terrestres. Pour autant dans ce monde qui va vite, qui se trouble et reste troublant, la martiennerie elle-même est "iconoclaste" dans un environnement ultra-concurrentiel qui est la fabrication d'œuvres artistiques. Sans parler de la difficulté de re-configurer le rapport à cette fabrication. Le temps de travail, le temps de création, le temps de coopération, le temps d'échange, le temps silencieux, et la valorisation de ces temps indispensable à une création rigoureuse et harmonieuse avec les désirs de chacun·e·s.
Les Anglo-Saxons associent le terme "design" à un champ d'activité complémentaire:, Sport Design ; Graphic Design ; Social Design...
Il y a quelques semaines, sous une forme de boutade, j'annonçais à Anne que je me revendiquais DESIGNER IMPRIMEUR. Un "Print Designer" en version originale. Déjà imprimeur de métier, ancien photocompositeur-claviste-maquettiste, conducteur d'une petite Offset "une couleur" à une époque éloignée, je renoue avec ce plaisir entier qu'est l'acte d'impression. La sérigraphie m'avait particulièrement bouleversé lorsqu'il y a 10 ans Anne me faisait racler l'encre sur mon premier écran, rien ne m'a été retiré de cette émotion avec la risographie ! Très différente et semblable à la fois, il y a dans la façon d'aborder la machine que je dis "ouverte" une sorte de philosophie proche de celle qu'il faut développer avec la sérigraphie et avec les autres méthodes d'impression. J'exclus par le fait toutes les méthodes dites à jet ou projection d'encre qui ne procède pas par pression d'au moins une forme cylindrique qui directement ou indirectement vient imprimer le papier.
Cette notion de "pression" a toute son importance dans ma réflexion et j'y reviendrai plus longuement dans un autre post.
Le "design d'impression" interrogerait donc les modes de production du livre, des textes, des images, des signes... à l'heure de l'éco-responsabilité, mais pas seulement. Le "designer imprimeur" s'interroge sur la production de ces artefacts, sur la manière dont ils sont pensés, rêvés, fabriqués, consommés, montrés, partagés, échangés, vendus, offerts. Il réfléchit sur les questions de mesure et d'échelle.
Je désire (comme le dit Erwan Bouroullec dans l'excellent et très beau livre Paysans designers, éditions Norma, un livre du Madd de Bordeaux), éviter la "cécité" du regard face aux objets graphiques et esthétiques du monde : c'est à dire être entouré de livres, d'objets imprimés sans savoir par quelles mains ils ont été fabriqués, comment ils ont été faits... Pour cela, je dois personnellement intégrer une dimension de design dans la pratique d'impression que j'interroge.
J'en suis au balbutiement de ma pensée et je compte bien l'associer à la recherche déjà entamée au sujet de la fabrication de l'image (voir mon post précédent). Je cherche d'ailleurs à rendre cette recherche encore plus concrète en m'inscrivant prochainement si cela est possible à un Master 2 de recherche. (Oui me refrotter avec les arcanes de la formation diplômante tout au long de sa vie "me passionne").
C'est ambitieux, mais je crois qu'avec Anne, nous avons besoin d'inscrire la martiennerie dans un champ esthétique questionnant le design graphique, l'artistique, mais aussi la poésie, l'ouverture sur le monde et sur sa lisibilité à travers nos coopérations avec les artistes dans la "re"création d'œuvres imprimées.
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