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Photo du rédacteurRichard Manière

La linéature en risographie, point par point, les sens (l'essence) de l'image...


Une journée autour des points de trame, c'est une journée qui prend du sens, toujours ! À travers une série d'impressions, je cherche à interroger l'utilisation des trames en art, en design graphique et plus globalement, dans ma démarche de designer imprimeur qui creuse un peu plus les sens (l'essence) des images imprimées, des (re)présentations sur les différents supports papiers en risographie.


Encore un fois, la risographie est une méthode d'impression mécanique qui reprend le principe de la sérigraphie. J'insiste pour dire que c'est de l'impression. C'est à dire qu'il y a pression entre deux cylindres (le rouleau presseur et le tambour entre lesquels passe la feuille). C'est important, car cela a un sens de faire des impressions artistiques, des estampes et non pas des "reproductions" même dit "fine art" qui si elles ne sont pas sérigraphiées ou imprimées en offset, utilisent non pas une "impression" mais une "projection" d'encre. on pourrait croire que je "chipote", mais en fait, d'un point de vue purement factuel, une imprimante n'imprime pas : elle projette de l'encre à l'aide d'une tête plus ou moins précise sur du papier, à aucun moment une "pression" est exercé sur la feuille de papier. Pour mon raisonnement philosophique ou au moins mes recherches sur le sens du design d'impression, c'est capital, j'espère pouvoir le démontrer ou au moins l'interroger dans quelques temps.


Pour traduire une image en trame, elle doit être d'abord traitée en niveau de gris. C'est parce que l'image révèle une infinie de ton de gris que les points de trame en demi-teinte viendront finement jouer leur rôle de définition de cette image dans ses contrastes, ses pleins, ses vides, mais aussi ses nuances.


C'est très révélateur avec cet essai d'impression artistique de Poison Ivy (guitariste icônique des Cramps) en couleurs gris sur noir : Le visage, les doigts ne comportent que très peu de points de trame, révélant l'expression de la guitariste avec beaucoup de finesse.


Tandis qu'ici, les points de trames plus nombreux et plus resserrés dessinent la guitare. L'ensemble montre parfaitement les nuances et subtilités du gris qui permet de révéler l'artiste en concert.

L'impression du gris sur papier noir en risographie est une toute première impression artistique que j'ai réalisée avec la machine dès le début. Déjà en sérigraphie, utiliser le support papier comme révélateur de contraste était un levier créatif fantastique. Ici, cela permet d'utiliser moins d'encre et de donner un sens à l'image tout a fait singulière : L'icône jaillit véritablement des ténèbres point par point et l'on aime se perdre dans les méandres du rythme ponctuel, comme l'on peut se perdre dans les rythmiques et les riffs rocks du groupe. La musique n'est jamais loin de mes impressions !


La veille, j'avais fait marche arrière, après une impression en 3 couleurs d'une image de Bettie Page que j'avais préparé il y a fort longtemps. 3 couches : Une jaune, une bleu et une rouge pour une trichromie très érotique d'une photo d'elle lorsqu'elle posait pour Irving Klaw. Je crois que l'image date de cette période, je ne suis pas certain, car il est très difficile de trouver la traçabilité des images de Bettie Page sur le net, tant il y a d'images qui se mêlent aussi à des "fakes" et des images pornographiques qui sont des "remakes" assez médiocres des photos de la performeuse. Je ne montrerai pas ici l'image dans son entièreté pour éviter la censure de google, sachez, que la finalité est une impression artistique sur papier goudron à seulement 7 exemplaires en deux couleurs (ou presque).



Choisir Bettie Page n'est pas anodin. Figure emblématique d'une libération de la femme à travers le travail du sexe, sa vie tragique ne l'empêche pas d'incarner une sorte de puissance joyeuse dans son travail, dont elle même témoigne. Pourtant dans cette image en particulier, elle y joue une femme en paix avec son corps (même si elle reconnaît qu'elle travaillait énormément pour rester dans ce qu'elle pensait être un "joli" corps), c'est elle qui gérait et il est certains que sa schizophrénie n'est pas étrangère aux hommes qu'elle a croisé et qu'elle a épousé toujours par défaut. Le patriarcat a eu raison de cette artiste et si elle est devenue une icône aujourd'hui (pas toujours pour de bonnes raisons d'ailleurs), on passe a côté de la dimension politique de son travail surtout lorsqu'elle décide de tout arrêter après la commission d'enquête contre la pornographie, en 1954.

Impossible donc, d'imprimer simplement les images de Bettie Page comme si l'on imprimait une image de "pin-up" en plus ! La dimension politique, la place du corps de la femme dans la société américaine ans les années 50 est absolument centrale dans ces images qui s'achètent par correspondance. Tandis que le puritanisme s'installe en réaction, l'envers du décor c'est que la schizophrénie n'atteint pas seulement Bettie Page, mais l'Amérique tout entière ; La femme, ménagère moderne dans sa cuisine équipée qui attend son mari qui rentre du travail pour le laisser regarder la télé et lire son journal n'est pas seulement une publicité c'est l'image d'une domination domestique. Les déceptions ne peuvent que s'amonceler !

Dans cette image où Bettie Page semble tout simplement au repos, elle rejoue l'origine du monde en affirmant que c'est a elle qu'appartient de montrer ou non son sexe. La pose est tellement "naturelle" (elle ne l'est sûrement pas), mais l'artiste confirme bien qu'elle fait ce qu'elle fait parce qu'elle sait que cette photo sera vendue. C'est une décision économique autant qu'artistique, érotique autant que pragmatique.


Ceci dit, lorsque j'ai "tramé" l'image je souhaitais rendre compte d'une palette de couleurs présentent dans l'original, j'ai donc séparé l'image en 3 couches de couleurs : Une jaune, une bleue et une rouge... Après avoir obtenue 3 niveau de gris, j'ai tramé chacune d'elle en choisissant une linéature avec très peu de ligne de point par pouce, augmentant de fait la taille des points. J'ai décidé également de les orienter selon la méthode qui empêche le moirage. Une répartition des points de façon homogène en est le résultat : On voit bien d'ailleurs les points de couleurs se répartir en rond : la couleur qui dessine à 45° (le noir normalement), la couleur la moins visible à 0° ou à 15°(le jaune normalement), la couleur entre les deux, à 75° (le bleu), je n'invente rien, ce sont des orientations utilisée en Offset. C'est justement parce que ces orientations sont absolument parfaites, que l'on peut jouer avec et rechercher des effets de plus en plus subtils pour signifier et raconter autre chose de l'image imprimée. Après essai d'impression, la jaune et bleu en premier passage et la rouge en 3e, l'effet était très moyen : Nous avions une image de Bettie Page ressemblant vaguement à une image des années 50 imprimée dans les années 70, mais les 3 trames se superposant dans les parties sombres, un effet ultra "bouché" rendait l'encrage particulièrement désagréable à l'œil, une superposition de points jaune, vert et rouge... Pour moi clairement, l'image ne racontait plus rien ! Il manquait toute la mélancolie du regard, toute la "simplicité" du cliché, le rapport au dénuement de la mise en scène et au dénuement du corps. J'ai alors réalisé seulement 2 passages en rouge et en. bleu sur un papier goudron, très matiéré. Le papier goudron est ce papier qui sert à faire de l'emballage, ou qui peut servir de fond, nous l'avons déjà beaucoup utilisé en sérigraphie. Ce support est une peu "jaune-gris" (les papiers goudron sont tous différents). L'impression des deux couleurs sans le jaune (remplacée par le papier) donne alors une sensualité et une définition tout à fait intéressante. Cette fois l'image reprend son récit : le papier goudron affirme et raconte la simplicité de ces impressions "à la va vite" qui permettait de diffuser un message rapide à moindre coût, et accorde à l'image une valeur qu'elle n'aurait pas sur un papier glacé. Parce que le support est humble, l'image est riche : Elle re-définit notre rapport à l'image dites "érotique". Il s'agit ici de la "chair", de "l'incarnation" du corps et de la totale liberté de le montrer plutôt que de sa "sexualisation". Récemment j'ai partagé avec une risographe de Bâle qui me parlait de "l'incarnat" grand sujet de la représentation de couleur chair dans l'histoire de l'art. Ignorant à ce sujet, me voilà avec un chemin sur la question qui traverse mes recherches sur la trame : les enjeux de la "vérité" de l'image imprimée, n'est pas si éloignée de toutes représentations en peinture et plus globalement dans l'art, surtout lorsqu'il s'agit d'impressions artistiques et de ne pas seulement se cantonner à "dupliquer" une image.








à suivre donc...


PS : Toutes les impressions artistiques de ces recherches sont à vendre. Elles sont toutes en très petit nombre d'exemplaires, numérotés et gaufrés par la Martiennerie. Pour plus de détails, vous pouvez m'écrire ici.

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